C’est mon leitmotiv depuis des années : la montagne appartient à ceux qui se lèvent tôt !
Les Pyrénées sont vraiment magnifiques et je ne m’en lasse pas. Mais pouvoir les observer lorsque le soleil se lève, les voir changer de couleurs, du pourpre au rouge, puis de l’orange à l’or, au fur et à mesure que les ombres se retirent vers le creux des vallées, ça n’a pas de prix !
Et pour pouvoir profiter de ces moments magiques, il n’existe que deux solutions : le refuge de montagne ou le bivouac.
Il n’est pas une année sans que je passe une nuit en bivouac dans les Pyrénées. C’est formidable cette sensation de se fondre dans la nature environnante et de vivre un moment convivial, frugal, ressourçant…
Lors de mon dernier court séjour à Saint-Lary, j’ai choisi une option permise à chacun pour tenter l’aventure du bivouac en montagne. L’aire dédiée au bivouac près du lac d’Aubert rassemble chaque soir d’été ceux qui parcourent le GR10, comme ceux qui vont affronter les pentes du Pic de Néouvielle au petit matin… ou le simple amateur de montagne.
La fameuse route des lacs mène au Lac d’Orédon, point de départ vers la réserve naturelle du Néouvielle. Depuis le lac, la route est réglementée et il est possible de rejoindre le bivouac par le sentier des Laquettes, ou grâce à la navette (en saison, de 9h30 à 18h00), ou en voiture en dehors de ces horaires.
Nous avons donc choisi de rejoindre en voiture la zone de bivouac en début de soirée, et nous avons entrepris la fameuse quête : celle d’un petit espace herbeux entre les rochers, sans grande aspérité, peu pentue et pas trop près des arbres (si dangereux voisins au cas où un orage éclate !) pour y installer les tentes.
Plusieurs tentes sont déjà installées dans les parages et certains dînent déjà (le tire-bouchon a commencé à sévir, son doux chant amplifié par l’écho… nos voisins sont Français !), et après avoir monté la tente et préparé matelas et duvets, nous décidons de les imiter (l’abus d’alcool étant déconseillé au randonneur matinal, nous nous sommes abstenus de bonne grâce, nous contentant d’une jolie noix de jambon achetée le matin même au marché de Saint-Lary).
Le lieu est propice à l’observation puisqu’aucune source lumineuse ne vient polluer la vision. Mes voisins disposent d’un télescope et d’un astronome amateur prêt à leur faire découvrir Cassiopée ou la galaxie d’Andromède. Je pense qu’ils ont choisi de passer la nuit ici pour ce moment simple et convivial. Modestement je reste planté à quelques mètres d’eux, sous la Voie Lactée, scrutant la trajectoire des avions croisant la grande ourse, et réjouit par la vue d’une demi-douzaine d’étoiles filantes trop pressées de disparaître. Quelques tentatives malheureuses de photographies nocturnes plus tard, je décide moi aussi de rejoindre les bras de Morphée.
5h00 : le réveil sonne ! La nuit a été fraîche et je m’habille rapidement en m’extirpant de mon chaud duvet. La qualité du matériel est importante. Choisir un duvet adapté aux températures rencontrées en altitude et un matelas qui isole au mieux de la fraîcheur du sol permet de dormir sereinement…
Christophe se lève aussi et nous rangeons, plions, débarrassons les lieux sous la lune, désormais au zénith. Après avoir pris le petit déjeuner et rangé le matériel dans la voiture, nous partons pour atteindre notre but : nous avons décidé d’observer le lever du soleil depuis le Pic de Madamète (2 657m), formidable belvédère sur le Pic de Néouvielle et sur les lacs de la réserve naturelle.
La lueur de la lune est suffisante, et nos yeux s’y habituent rapidement : nous n’avons pas besoin d’utiliser nos lampes frontales pour avancer sur le sentier (nous empruntons une portion du fameux GR10, très bien balisé et parfaitement lisible). Nous progressons dans un silence à peine perturbé par le sourd bruit de nos pas.
Lorsque nous rejoignons les rives du Gourg de Rabas, petit lac discret, l’aurore commence à poindre et les roches claires, parsemées de neige, du Pic de Néouvielle se démarquent nettement devant une fine veine nuageuse qui semble souligner le sommet sous les dernières étoiles. Féérique !
Nous atteignons le col de Madamète (2509m), dont le versant opposé recèle les lumineux petits lacs de Madamète, dans les ténèbres de la vallée d’Aygues-Cluses. Le Pic du Midi de Bigorre se distingue des autres ombres chinoises grâce à son antenne emblématique. Le même peintre a dessiné un mince nuage pour le mettre en valeur.
Christophe souhaite faire une pause, mais inquiet à l’idée d’atteindre le sommet après les premiers rayons du soleil, je le convaincs de reprendre notre route pour l’ascension finale. De cairn en cairn, au beau milieu des cailloux, nous arrivons rapidement au Pic de Madamète.
Notre impatience laisse place à l’émerveillement lorsque le Pic de Néouvielle, sous les premiers rayons horizontaux du soleil, prend enfin des couleurs au-dessus des lacs d’Aumar et Aubert, sombres miroirs. La magie opère. Et là, à nos pieds, tout autour de nous, le spectacle a commencé, et nous nous empressons de ne pas perdre une miette de ce bref instant !
Le Pic du Midi brandit son antenne cuivrée devant un ciel ocre lorsque, une à une, les pierres qui nous entourent se parent de la même teinte. Je prends photo sur photo, toujours plus impressionné par cette lumière. Les nuages nombreux contribuent à cette fabuleuse atmosphère.
Nous décidons enfin de quitter notre belvédère pour rejoindre, de l’autre côté du col de Madamète, le pic d’Estibère (2 663m), dont le cairn sommital nous toise depuis qu’il est sorti de la nuit… Notre progression sur les éboulis nous permet de croiser par endroits des cairns, mais sans jamais suivre un vrai sentier.
Nous atteignons tout de même sans difficulté le sommet après avoir suivi la crête accidentée.
Le panorama qui nous est offert est incroyable : à l’est les silhouettes noires des crêtes rehaussent le dégradé de couleurs de l’horizon tandis qu’à l’ouest les nombreux sommets timidement éclairés s’éveillent sous une chape nuageuse qui a déjà revêtu ses couleurs rosées.
Le spectacle a changé : les chaudes couleurs matinales sont devenues plus lumineuses et le ciel menaçant offre des contrastes incroyables, illuminant les lacs d’Aumar et d’Aubert au pied d’un Pic de Néouvielle qui semble vouloir retenir les sombres nuages noirs, annonciateurs d’une météo chahutée.
Dans le contre-jour, vers l’est, nous dominons le cirque d’Estibère et ses magnifiques lacs, alors qu’en arrière-plan le soleil inonde le Soum de Terre Nère et les plus hautes pistes de la station de Saint-Lary.
Nous redescendons légèrement dans le cirque pour franchir le col nous permettant de retrouver notre sentier nocturne et rejoindre notre voiture.
Le ciel tient ses promesses : quelques rares gouttes arrivent alors que nous croisons ces malheureuses familles, dont la sortie hebdomadaire vers les hauteurs du Néouvielle va sans doute tourner au fiasco.
Lorsque nous grimpons dans la voiture, vers 10h30, la pluie devient continue et l’orage gronde. Nous redescendons vers Saint-Lary en empruntant la petite route et ses lacets lumineux surplombés par une montagne en noir et blanc… avec la satisfaction d’avoir bien étudié la météo !
La montagne appartient à ceux qui se lèvent tôt !